© Bénédicte Tilloy 

(G)Old - Les vieux, leur présent, leurs projets - Episode 10 - Nadia Le Gendre Avec elle, on entre tout de suite dans le vif du vécu.

“Je suis la fille illégitime de mon père en Tunisie, déclarée de père inconnu en France”. Nadia trimballe deux identités, chacune contient un manque, que l’autre ne parvient pas à combler. Mais ce qui pourrait être une souffrance est chez elle une fierté et une force. Elle n’est pas abimée, l’adversité l’a forgée. "Être à soi-même son propre matériel” me dit-elle. Le résultat est d’une classe folle.

Sa petite enfance la tire à hue et à dia, écartelée entre la Tunisie et Paris. Elle est foutue dehors et livrée à elle-même à dix-huit ans. Alors, elle enchaîne les petits boulots sans avenir.

Autodidacte par accident, elle se cultive en recherchant la compagnie de jeunes gens cultivés.

Plutôt que l'école, elle préfère apprendre en allant au cinéma.

Elle lit assidument le Monde et ne rate d’ailleurs aucune de ses petites annonces. En 1983, l’une d’elle est une offre de secrétariat à l’atelier de Sèvres, une prépa aux écoles supérieures artistiques en plein cœur de Paris. Elle est prise. Sans doute est-elle déjà solaire, Michel Glize, son patron, reconnait en elle une alter ego : “toi, tu me plais, on va monter ensemble une école de mode”.

Elle n’y connait rien mais elle ne se démonte pas. C’est elle qui élabore le cahier des charges. L’école devra être créative comme le cours Berçot, enseigner les techniques comme Esmod, disposer d’un beau réseau comme l'Ecole de la Chambre Syndicale de la Haute Couture. Elle conçoit les programmes, recrute les enseignants, sélectionne les étudiants. L’Institut Supérieur des Arts Appliqués, LISAA MODE Paris est créé en 1986 et devient l'une des écoles de mode les plus réputées, non seulement en France, mais aussi sur la scène internationale.

Nadia la dirige pendant trente ans. Avec un goût prononcé pour la pédagogie, elle challenge les meilleurs et tire les cancres des profondeurs du classement. Elle fait son miel de leur diversité sociale et artistique, un mariage arrangé du chic et de la rue.

En 2015, un fonds d’investissement rachète l’école. Exit Nadia. Cruel destin que celui du créateur qui se voit ravir sa création.

Nadia n’abdique pas pour autant. Depuis toujours, elle est passionnée par le vêtement, mais aussi par les jeunes gens cabossés que la mode attire à elle comme un miroir flatteur. Alors, elle rejoint une école de mode pas comme les autres, la Casa 93. Un centre de formation qui s’adresse aux talents issus des quartiers dits sensibles. Elle encourage ses étudiants à construire leur identité créative, en piochant dans le patrimoine du vestiaire familial qu’elle leur apprend à upcycler. Malheureusement, faute de subventions, cette histoire s’arrête en octobre 2024.

Mais Nadia jamais ne s’arrête. Elle est déjà sur un nouveau projet : "La parisienne au cinéma”. Que les producteurs qui lisent cet article lèvent le doigt!

Nadia a 65 ans.

Novembre 2024